Un article de Eric Carpentier
Cet article est issu de la série spéciale Aventure, publiée tout l’été. Pour retrouver l’ensemble des articles de la série, abonnez-vous à la lettre mensuelle de La Guilde :

Vincent Farret d’Astiès, 40 ans, a une formation d’ingénieur et une expérience de contrôleur aérien. Mais, attiré par le silence de la mer et celui des voiliers qui partent vers le grand large, il a souhaité vivre cette expérience dans les airs, avec un projet fou de ballon manœuvré à l’énergie solaire plutôt qu’au brûleur à gaz. De là est né son projet pionnier sur le plan scientifique, avec l’idée de battre le record du monde de vol en ballon détenu par Bertrand Piccard (19 jours 21 heures 47 minutes, en 1999), parrain de Zeph Exalto et membre du Comité d’Honneur de La Guilde. Un projet qui pourrait décoller cet été.
Administrateur de La Guilde depuis 2017, Vincent Farret d’Astiès incarne magnifiquement cette devise de La Guilde : « faire ce dont les autres rêvent ».
Vincent Rattez, délégué général de La Guilde
« À l’origine, il y a un élan vers la beauté. Je voulais naviguer dans le ciel comme on navigue en mer. Pouvoir caboter entre les nuages, voguer sous les étoiles. Larguer les amarres. Ce qui a provoqué ça, c’est la beauté du ciel, ses nuages comme des îles qui donnent envie d’aller de l’un à l’autre d’abord, puis de partir au long cours. »
« Un soir, j’ai regardé un couché de soleil et l’idée m’est venue. Ce n’était pas réfléchi, ce n’était pas dans le cadre d’une démarche technique pour voler indéfiniment. À partir de cet élan initial, la technique a suivi. Je ne sais pas dans quelle mesure c’est lié au fait que j’étais contrôleur aérien. Ce n’est tout de même pas impossible, ça faisait quelques années que je regardais le ciel. (rires) Mais pourquoi à ce moment-là ? »

« Plus que des inspirations, il y a des filiations d’adoption. Icare, c’est toujours un peu gênant car il est celui qui s’est brûlé les ailes mais, oui, le rêve est le même. Il pourrait y avoir du Jules Verne, avec ce côté ingénieurs français qui associent technique et aventure, et le ballon, très XIXe siècle. L’aviation, Louis Blériot et consorts, ce sont des avions : l’attrait pour l’air est indéniablement le même, mais nous sommes plus dans l’odyssée, dans le fait de larguer les amarres. Donc on se situerait plutôt dans la lignée d’un Joshua Slocum (premier navigateur à effectuer le tour du monde en solitaire, de 1895 à 1898, ndlr), avec un tour du monde un peu hors du temps. Il y a du céleste, mais aussi de la navigation, du voyage au long cours. C’est Icare avec ce qu’il faut d’Ulysse pour rentrer – il faut rester modeste ! (rires) »
« Il n’y a pas vraiment de labyrinthe à fuir. Ce qui est à fuir, ce sont les peurs – d’autres diraient la raison. Les peurs qui empêchent d’aller. Tout le reste, il faut l’accepter, l’affronter, le surmonter, le contourner… Fuir les peurs et l’abattement. Une fois qu’on dit qu’on n’a pas peur et qu’on ne lâchera pas, je ne vois pas grand chose qui puisse t’arrêter. »
« Qui veut voyager loin s’adapte à la nature, en somme. »
« J’étais contrôleur aérien, pilote de petits avions, et j’ai toujours un peu navigué. En termes de liberté, l’imaginaire est bercé par la voile. Il y a cette idée d’autonomie, d’absence de limites, et en même temps le fait d’être complètement tributaire, immergé dans l’élément naturel. Curieusement, c’est une liberté liée à un abandon. »
« D’où vient la sensation de plus grande liberté quand tu es dépendant du vent, que tu ne choisis pas où tu veux aller ? Dans un avion, une voiture ou un bateau à moteur, tu peux aller où tu veux, quand tu veux… tant que tu as du carburant. Tous les moyens motorisés sont limités. En voilier, ta seule limite sont tes vivres, ta condition humaine. Pour être le plus libre possible en tant qu’humain, il faut être dépendant de la nature, plutôt que de son carburant. »
« La même chose sur terre, ce serait de l’ordre du voyage à cheval. Est-ce que je dis ça parce que j’ai un imaginaire nourri par Kessel et d’autres ? Je ne sais pas. Mais le cheval se contente de brouter et de boire, il y a un côté non-violent dans ce voyage. »
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« Un ballon à gaz, rempli d’hélium, flotte dans l’air comme un bouchon sur l’eau. Traditionnellement, on jette du sable pour monter, on tire une soupape qui libère du gaz pour descendre (la montgolfière, remplie d’air chaud, fonctionne quant à elle avec un brûleur nécessitant du carburant, ndlr). Nous, on a un deuxième ballon en-dessous, rempli d’air. Ce ballon de volume fixe est sous pression. Quand on le remplit d’air, qu’on augmente la pression, la masse augmente et on peut descendre. Inversement, quand on le dégonfle, qu’on fait descendre la pression, la masse diminue et on remonte. Comprimer l’air demande de l’énergie via les compresseurs : c’est là qu’interviennent les panneaux solaires. »
« Concrètement, je vole grâce au soleil. C’est un peu plus complexe qu’un bateau à voile. Un panneau solaire, ce sont des cellules photovoltaïques, il y a de l’électrique derrière, c’est difficile à assembler avec peu de moyens. De ce côté-là, par rapport au voyage à cheval ou en voilier, c’est un peu moins pur. Pour aller vers la beauté, les moyens ne sont pas directs. »

« Je ne pense pas tout de suite à des notions de bilan carbone. Mais naturellement, si tu esquisses un geste un peu total, alors tu ne veux pas polluer. Si tu laisses une grosse trace de fumée, ce n’est pas la même chose. Tu t’inscris mieux dans le paysage, dans sa beauté, sans l’altérer. L’esthétique n’est pas uniquement la photo – dans la photo, tu ne vois pas le temps passé – c’est aussi l’impact. La dimension écologique fait partie de cette esthétique, finalement. »
« L’élan premier et la réalisation montrent que c’est en s’adaptant qu’on va plus loin. Ça implique de changer d’état d’esprit, de manière d’aborder les choses. Si on décide de tout forcer sans arrêt, forcément, ça ne tiendra pas. Pour aller longtemps, sans fin, le seul moyen est de s’adapter à la nature. Qui veut voyager loin ménage sa monture et s’adapte à la nature, en somme. »
« Il y a un message, car le projet dit exactement cela : ce sont les facultés d’adaptation et le fait de mieux connaître la nature qui vont permettre ce vol. Nous voulons voler pendant trente jours, jusqu’à 8 000 mètres d’altitude. Ce n’est possible qu’en sachant bien comment agissent les vents en altitude, quelque chose qui était beaucoup moins connu il y a 20 ans. Ce qui va nous permettre d’aller plus loin, c’est donc une meilleure connaissance de l’élément naturel. »

« Le rêve est maintenant un petit enfant de huit ans. J’ai quitté mon métier il y a cinq ans pour être à temps plein dessus. Tout ce temps, deux choses permettent de tenir. Il y a le défi humain : tu es avec d’autres personnes, tu formes une équipe, tu as envie d’aller au bout. Et puis, quand je lève les yeux au ciel et que je vois un nuage, ça fait des années que je lui dis : « j’arrive ! ». »
« La météo nous joue des tours, mais si le vol d’essai est réussi cet été, la fenêtre météo suivante peut être la bonne pour partir pour le vol record. Il faut prendre celle qui nous amène vers le nord de l’Europe, ce qui est assez courant, puis Arctique, Canada, Etats-Unis, et retour avec les vents qui viennent généralement de l’ouest. »
« On se sent assez sereins. Il y a toujours des détails techniques qui peuvent créer des surprises, comme dans toutes les expéditions. Mais que ce soit reporté d’un mois ou de six mois, je sais que je le ferai. Je pense que ça change vraiment quand on monte à bord pour s’envoler ; sinon, il n’y a pas de plus grande fébrilité. C’est quelque chose qui est attendu, préparé, et qui de toute façon aura lieu. »
Propos de Vincent Farret d’Astiès, recueillis par EC
Pour suivre le projet Zeph Endless Flight, rendez-vous sur www.zephalto.com
