Un article de Volontariat
Vous avez 75 ans. Pour quelles raisons avez-vous décidé de vous engager en mission VSI à ce moment de votre vie ?
Peut-être qu’au fond de moi, l’inactivité me pèse. Retraité depuis 1992, j’avais toujours eu une activité professionnelle jusqu’à notre départ pour le Cambodge ! Très attirés par cette partie du monde, ma femme – qui est professeure de français langue étrangère – et moi cherchions une opportunité pour rester au Cambodge et consultions régulièrement les offres de volontariat de solidarité internationale.
Quel est votre parcours professionnel ?
Partant d’un CAP aide-comptable, je suis diplômé d’une grande école de commerce à 26 ans et obtiens mon diplôme d’expert-comptable à 51 ans, ce qui va m’ouvrir l’accès à une expatriation de 10 ans en Chine, puis une fois retraité, m’amènera à cette mission avec Agir pour le Cambodge.
Comment présenteriez-vous l’action d’Agir pour le Cambodge ?
C’est une association créée en 1984 qui se donne pour mission de contribuer à la lutte contre la pauvreté et contre le trafic d’êtres humains au Cambodge en soutenant des programmes d’éducation, de formation et d’insertion professionnelles. Mon organisme d’accueil, l’école hôtelière de Sala Baï à Siem Reap, met en œuvre cette mission en accueillant 150 étudiants et étudiantes issus de familles pauvres et en les formant en une année aux métiers de l’hôtellerie, de la restauration et de la massothérapie. Un diplôme, officiellement reconnu, leur est remis à la fin de leurs études.

Quelles sont vos missions au sein de l’école hôtelière ?
En 2020, l’association a décidé de doter l’école de Sala Baï d’un responsable financier et administratif. Je suis donc le premier VSI envoyé sur ce poste. Je dois assurer la fiabilité des données comptables et financières et leur conformité avec les réglementations locales, transmettre le suivi des réalisations et élaborer le budget annuel en traduisant en chiffres les objectifs de la direction. Je prends aussi en charge une partie de la gestion administrative du personnel : rédaction des contrats de travail, supervision des salaires, respect du droit du travail… Ce qui implique de suivre l’évolution de la réglementation locale.
Comment se passe votre intégration sur place ? Quels sont les aspects interculturels à prendre en compte ?
J’étais déjà au Cambodge depuis 17 mois lorsque j’ai débuté ma mission, je n’ai pas eu beaucoup de difficultés d’adaptation car j’avais déjà une bonne connaissance de l’Asie. La principale barrière reste celle de la langue. Son écriture est complexe, bien que ce soit une langue alphabétique. Les mots d’une même phrase ne sont pas séparés les uns des autres et il n’existe pas de traduction phonétique standardisée : chaque enseignant utilise sa propre transcription. Par ailleurs, le plus moderne – paiement avec le téléphone portable en scannant un QR code – côtoie le moins développé – entrée d’une mine de pierres précieuses clandestine dans une plantation d’hévéas, ambulance dans la cour de l’hôpital provincial de Siem Reap…

Quelles sont les différences entre la réalité de la vie sur place et vos attentes vis-à-vis de l’expatriation ?
Les éventuelles attentes ont été bouleversées par la pandémie. Les écoles ont été fermées pendant longtemps. Le baccalauréat 2020 a été donné à tous les lycéens. Les frontières entre provinces ont été parfois fermées, limitant les déplacements. Le gouvernement a finalement procédé à une grande campagne de vaccination grâce aux dons de vaccins faits par la Chine. Il y a de manière générale une forte présence de la Chine, la plupart des grands projets sont mis en œuvre par des entreprises chinoises. Pour moderniser les routes, des milliers d’ouvriers sont venus de Chine. Le plus souvent un Cambodgien d’origine chinoise se définit d’abord comme chinois, puis comme cambodgien.
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Votre vision du pays ?
Le Cambodge est officiellement un état religieux. Il en découle une certaine passivité, un certain fatalisme face à l’adversité. Les moines bouddhistes jouent un rôle important dans la vie quotidienne. Il est fréquent d’en voir pieds nus donner leur bénédiction devant une maison, un magasin. Dans beaucoup de documents officiels sont mentionnées la date selon le calendrier bouddhiste et celle selon le calendrier grégorien : il y a 553 années d’écart ! La solidarité familiale, ou au sein d’un village, joue également un rôle très important. Sans elle, la pandémie, qui a jeté des millions d’habitants dans l’extrême pauvreté, aurait fait beaucoup plus de victimes. C’est un pays où tout est à faire, où tout est possible mais les pays voisins (Chine, Thaïlande, et même Vietnam) exploitent plus ou moins légalement ses ressources et freinent son développement.

Quel est votre bilan personnel et professionnel à ce stade ?
Cette mission au sein d’une ONG m’a fait réfléchir sur l’impact que peuvent avoir ces organisations. Celles-ci ont, à première vue, un impact positif sur les populations locales. Celles qui travaillent dans l’éducation assurent en général le suivi médical de leurs élèves, qui dans les circonstances actuelles n’auraient quasiment pas accès aux soins. Nos étudiants arrivent, pour la plupart, avec des carences en vitamines. Mais ce faisant, les ONG se substituent aussi à l’action gouvernementale et entretiennent une certaine passivité de la population : il est nécessaire de réfléchir globalement aux conséquences de nos apports.
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Savez-vous déjà ce que vous souhaitez faire à votre retour en France ? Le VSI vous a-t-il aidé en cela ?
Jusqu’à récemment, je pensais rentrer en France et profiter de ma retraite bien méritée ! Finalement j’ai demandé à prolonger ma mission pour deux ans supplémentaires car il y a encore beaucoup de choses importantes et intéressantes à mettre en œuvre.
Des conseils pour les futurs volontaires ?
Au regard de ma situation, la mission se devait d’être un projet commun au couple. Sinon il y a un risque d’ennui pour l’un des deux car deux ans semblent interminablement longs lorsque l’on a très peu de vie sociale (barrage de la langue) ou culturelle (peu d’offres). Mis à part cela, le premier conseil est de rester humble et modeste. Nous sommes des invités et devons respecter les traditions et les comportements de nos hôtes, même si ceux-là ne nous semblent n’avoir aucun sens. Ils en ont pour eux.

Propos recueillis par Pauline Dutheil